Transition

Si les fouilles d’Herculanum (1738) et de Pompéi (1748) marquent le début d’une esthétique nouvelle portée par la redécouverte des vestiges des civilisations antiques, il faut attendre les années 1750 pour voir ses manifestations dans les arts décoratifs.

« Les restes du palais du pape Jules II »
Hubert Robert (1733-1808)
Paris, vers 1770-1780
Huile sur toile, cadre en chêne sculpté et doré H. cm : 71,5 - l. cm : 58
Legs Émile Peyre, 1905
Inv. PE 57
© MAD, Paris / Jean Tholance

Encore vif, le goût pour les sinuosités diminue peu à peu et on assiste à l’introduction de nouvelles formes. En effet, après leur retour du traditionnel voyage en Italie organisé par le marquis de Marigny, frère de madame de Pompadour, alors directeur des Bâtiments du roi, les théoriciens de l’art et les architectes qui l’accompagnaient fournirent dessins et gravures qui renouvèlent l’inspiration. Ainsi, les dernières décennies du règne de Louis XV sont marquées par un moment dit de Transition qui témoigne du changement de goût des artistes.

Contexte / influence

Pendule pyramide
Paris, vers 1770
Charles Le Roy, horloger
Bronze patiné, bronze ciselé et doré, émail, verre
H. : 68 cm - l. de la base : 33,5 cm
Don Henri-Émile Perrin, 1909
Inv. 16435
© MAD, Paris / Jean Tholance

Stylistiquement, la période Transition s’étend entre 1760, peu après le rejet de la manière rocaille (Supplication aux orfèvres, 1754), et s’achève en 1770, par la construction du pavillon de madame Du Barry à Louveciennes par Ledoux. L’architecture de l’Antiquité et son vocabulaire ornemental constitue la principale source d’inspiration de ces années charnières marquées par les tâtonnements et la mise en place d’un style nouveau. On note toutefois deux tendances, la première donnant lieu à des créations hybrides qui résultent de la double influence du style rocaille et de l’inspiration antique tandis que la deuxième est résolument néo-classique. Ce style épuré empruntant principalement à l’architecture antique est appelé « à la grecque » et mènera directement au style Louis XVI.

Formes

Fauteuil « à la reine »
Jean-Baptiste Gourdin (1723-1786)
Paris, vers 1770
Hêtre et noyer sculptés et peints, garniture moderne
H. : 96,5 cm - l. : 65 cm - Prof. 55 cm
Achat, 1892
Inv. 7269
© MAD, Paris / Cyrille Bernard

La période Transition se manifeste par une hybridation des formes. Si les lignes courbes et les inspirations végétales issues du style rocaille sont encore employées, elles sont toutefois atténuées par l’apparition timide de la ligne droite donnant un caractère géométrique aux silhouettes. La cohabitation sur le même siège ou meuble de deux répertoires décoratifs donne des formes surprenantes. Les nombreux éléments caractéristiques de l’architecture antique (colonnes, pilastres, frises de grecques, tores de lauriers) sont repris pour structurer les formes souples de la rocaille. La forme de la commode subit un changement radical. Si les pieds sont encore légèrement cambrés, le caisson est désormais rectangulaire avec un ressaut central en saillie, quant aux poignées, parfois placées à la verticale, elles sont presque rectilignes.

Ornements

Bureau plat
René Dubois, ébéniste
Paris, vers 1775
Bâti en chêne, placage d’acajou, bronze doré
Legs Margaret Blake-Gould, 1932
Inv. 31243
© MAD, Paris / Jean Tholance

Les frises géométriques sont habilement utilisées pour souligner les formes plus strictes des meubles, certains enroulements géométriques servant même pour marquer visuellement les pieds. La technique du frisage tend à se généraliser. Le nombre de bronzes d’applique est désormais limité aux éléments fonctionnels : entrées de serrure, poignées, et protection des arêtes ne tenant plus seulement lieu de motif décoratif. Les ornements d’origine animale, employés du temps de Louis XIV sont repensés et leur dessin est plus réaliste. Mufles et pattes de lion, ou encore têtes de bélier, sont associés à une inspiration végétale au rendu plus stylisé : tores de laurier et joncs liés, pommes de pin…

Matériaux

Bureau à cylindre et cartonnier
François Gaspard Teuné (né en 1726), maître en 1766
Paris, vers 1770
Bâti en chêne et résineux, marqueterie de bois de rose, amarante et érable sycomore
H. : 198 cm - L. : 164 cm - Prof. : 92 cm
Don Vicomtesse de Poncins, née Biencourt, 1946
Inv. 35402
© MAD, Paris / Jean Tholance

Le satiné et le sycomore sont utilisés en placage, les décors des panneaux aux formes de plus en plus géométriques sont soulignés de filets en bois indigènes, de houx ou de buis. Employé avec plus de parcimonie, le bronze doré est quant à lui moins présent. Tandis que vers la fin de la période Transition, l’emploi de l’acajou se généralisera en France après avoir été surtout exploité dans les ports comme Nantes ou Bordeaux. Parmi les matériaux qui remporteront un certain succès, la porcelaine de Sèvres sous forme de plaques et de petits panneaux, renouvèle le décor des meubles.

Invention / création (meubles nouveaux)

Il n’y a guère de nouveaux meubles durant la période Transition. Toutefois, dans le domaine des meubles à écrire, on note l’apparition du bonheur-du-jour. Ce bureau de dame à gradin s’inscrit dans la catégorie des nombreux petits meubles maniables et à usage spécifique, apparus au début du règne de Louis XV. Le goût prononcé pour les sciences naturelles entraîne la création de coquilliers, qui servent à présenter les échantillons dûment étiquetés.

  • Commode

    Louis Aubry, estampille
    Paris, vers 1775
    Bâti : chêne ; placage : bois de violette, bois de rose, buis, sycomore, charme ; marbre ; bronze doré et ciselé
    H. : 84 cm - L. : 132 cm
    Legs Albert Bichet, 1920
    Inv. 21922
    © MAD, Paris / Jean Tholance

    La distribution verticale du décor en trois registres ainsi que le léger ressaut de la partie centrale caractérisent les commodes dite « Transition ». De plus, cette nouvelle façon d’envisager le décor nie l’horizontalité des tiroirs dont la présence est révélée par les anneaux de tirage. En outre, il n’y a plus une seule partie galbée, hormis les pieds, mais une rigueur géométrique renforcée par l’emploi du frisage. Préférée aux marqueteries de fleurs au naturel, cette technique de placage se généralise. L’utilisation du bronze doré pratiquement réduit à sa seule fonction utilitaire (chutes d’angle, poignées, entrée de serrure et sabots) témoigne des recherches stylistiques en cours à la période Transition contre les excès de la rocaille qui menèrent à l’élaboration du style dit « à la grecque ».

  • Meuble à écrire debout

    Paris, vers 1760
    Bâti de chêne, placage bois de rose, satiné, amarante ; dessus de l’abattant en cuir, sabot bronze doré et ciselé, roulettes en bois
    H. : 128 cm - L. : 75 cm
    Legs Pierre Petibeau, 1917
    Inv. 20429
    © MAD, Paris / Jean Tholance

    Ce meuble aux lignes graciles servait en premier lieu de bureau d’appoint. Des documents pouvaient être rangés dans le caisson fermant à clef sous l’abattant, et le nécessaire à écrire était installé dans un étroit et long tiroir dissimulé dans l’angle supérieur droit du meuble. Quant à la tablette d’entretoise, placée immédiatement sous le pupitre, elle est rétractable et transformable en chevalet grâce à un ingénieux système de crémaillère. Enfin, les roulettes en bois renforcent le caractère fonctionnel du meuble.

  • Chaise « à la reine »

    Georges Jacob (1739-1814)
    Paris, vers 1770
    Hêtre sculpté et peint, garniture moderne
    H. : 95 cm - L. : 52 cm - Prof. : 50 cm
    Legs Jean Lejeune-Laroze, 1924
    Inv. 23788
    © MAD, Paris / Jean Tholance

    Cette chaise est représentative du passage d’un style à un autre, ses pieds encore cambrés ont reçu en partie haute, un décor d’enroulement de feuille d’acanthe qui porte en germe l’inspiration antique, en vigueur dans les arts sous le règne de Louis XVI. L’abandon du répertoire ornemental naturaliste (fleurettes, agrafes et coquilles) faisant place à de simples moulures cannelées pour le bois du dossier comme pour la ceinture, signe la volonté de s’émanciper des formes trop complexes caractérisant le goût rocaille.

  • Candélabre à trois lumières

    France, vers 1760-1770
    Bronze ciselé et doré
    H. : 58 cm
    Inv. CAM 148
    © MAD, Paris / Jean Tholance

    La forme de ce candélabre est caractéristique des tâtonnements de la période Transition qui se libère des formes chantournées pour se rigidifier, se rapprochant du modèle antique de la colonne qui triomphera quelques années plus tard. La base circulaire ornée d’un tore de laurier stylisé et d’un rang de perles annonçant les motifs typiques du style Louis XVI, tandis que le fût et les bras sont encore emprunts des formes tordues et naturalistes de l’art rocaille.

  • Pendule dite « Pyramide »

    Charles le Roy (1709-1771), horloger
    Paris, vers 1760
    Bronze patiné et bronze ciselé et doré
    H. : 68 cm
    Don en souvenir de M. Émile Perrin, hommage de son fils Émile, 1909
    Inv. 16435
    © MAD, Paris / Jean Tholance

    Les pendules à poser sont souvent associées à des vases pour former des garnitures, c’est-à-dire des ensembles d’objets décoratifs mêlant le bronze doré à d’autres matériaux : porcelaine, tôle, ivoire, marbre… La forme de celle-ci est issue des obélisques dont la mode apparaît à la suite des découvertes de ruines antiques. La mappemonde au sommet atteste du goût prononcé pour les sciences, lié aux nombreuses découvertes du siècle des Lumières. C’est un des modèles les plus marquants du style Transition.