Le nom de « Trente Glorieuses » donné par Jean Fourastié aux années 1945-1975 couvre les trois décennies durant lesquelles la société française passe de la reconstruction à un accès généralisé à la consommation et aux loisirs.
Les deux décennies de l’après-guerre se caractérisent par un changement rapide de mode de vie et une modernisation profonde de l’habitat et des infrastructures. Portée par l’essor économique, la jeune génération de designers des années 1950 tourne ses regards vers les pays qui incarnent la modernité, aux premiers rangs desquels les États-Unis mais également la Scandinavie. En France, dynamisme et modernité s’incarnent dans l’industrie automobile. Emblématique de cet essor, la DS, créée en 1955 par Citroën, devient une voiture mythique, véritable « déesse » des temps modernes sous la plume de Roland Barthes.
Contexte
En matière de mobilier, le goût des pièces uniques et des matériaux traditionnels perdure. Après neuf ans d’interruption, le Salon des Arts Ménagers rouvre ses portes au Grand Palais en 1948. Le mobilier de série est présenté dès 1949 dans la section « Le foyer d’aujourd’hui » qui va devenir la vitrine de tous les jeunes designers désirant voir leurs meubles produits en série. La même année l’exposition « Formes Utiles », émanation de l’U.A.M., se tient pour la première fois au musée des Arts décoratifs et ensuite au Salon des Arts Ménagers.
À l’inverse des pays scandinaves, des États-Unis et de l’Italie, la France développe lentement une production de meubles modernes, produits en série pour le marché international. Cependant, stimulées par l’émergence de jeunes talents, de nombreuses maisons d’édition voient alors le jour en France. Celles-ci vont favoriser l’apparition d’un mobilier nouveau.
À l’étranger, le travail suivi et régulier de designers au sein des mêmes entreprises est la clé de productions innovantes. Les États-Unis et la Scandinavie deviennent synonymes d’une modernité enviée et leurs grands éditeurs (Knoll, Hermann Miller, Artek …) sont en France des modèles à suivre. Parallèlement, le goût de la décoration reste vivace en France et Jean Royère enchaîne les chantiers dans lesquels il déploie son goût pour les lignes courbes synonymes de confort.
Formes et matériaux
Dans nombre de mobilier courant produit par de petits ateliers, un style post Art déco perdure. Souhaitant combattre celui-ci, la jeune génération s’appuie sur de nouvelles donnes. Adapté aux petites surfaces et à un nouvel art de vivre, un mobilier fonctionnel aux formes simples voit le jour, emmené par une élite de designers. Avec des matériaux comme le Formica, le contreplaqué ou le verre, les designers cassent les codes, autant du mobilier bon marché que du mobilier de style très répandus en France. Ce faisant, ils proposent un renouvellement des formes et des typologies du mobilier et des accessoires de la maison. Les lignes souvent orthogonales de leurs propositions intègrent alors les problématiques propres à ces années (gain de place, multifonction, mobilité, entretien facile, incursion de la télévision…).
Il n’existe pas de choix spécifique de matériaux durant cette période. Les créateurs utilisent indifféremment les matériaux traditionnels comme le bois, le cuir, le rotin mais également les dérivés du bois (contreplaqué, lamellé-collé) ainsi que les matériaux industriels (aluminium, acier…) ou ceux de la chimie moderne (matières plastiques, polyester armé de fibres de verre).
Meuble TV-tourne-disque-bar
Antoine Philippon (1930-1995) et Jacqueline Lecoq (née en 1932)
Antoine Philippon et Jacqueline Lecoq offrent un bel exemple du renouvellement des typologies de mobilier qui s’opère à la fin des années 1950 avec ce meuble multifonction. Ce meuble répond aux besoins de place et à la généralisation de la télévision dans les foyers. Utilisant un matériau comme le Formica, le duo de créateurs rompt avec les codes du mobilier traditionnel qui prévalait jusque-là. Antoine Philippon et Jacqueline Lecoq contribuent ainsi à convertir leurs contemporains au mobilier moderne, fonctionnel, adapté par ses formes et ses matériaux à un nouveau mode de vie.
Bureau à abattant avec porte-documents
Jacques Adnet (1901-1984)
France, vers 1950
Simili cuir, laiton
H. : 100 cm - L. : 93 cm - Prof. : 55 cm
Achat grâce au mécénat de Moët Hennessy et de la Société d’Organisation Culturelle, 2010
Ambassadeur du goût français, Jacques Adnet est, par ce bureau, fidèle aux préoccupations de rationalisme et de fonctionnalité qui règnent dans l’industrie du meuble dans l’immédiat après-guerre. Adepte de techniques raffinées, il porte une attention particulière à la perfection des formes et à la qualité des matériaux utilisés (laiton et simili cuir).
Chauffeuse Antony
Jean Prouvé (1901-1984)
France, vers 1954
Tôle et tube d’acier laqués, contreplaqué de hêtre
Dans l’après-guerre, la France cherche à combler son déficit en logements et équipements universitaires. Jean Prouvé remporte le concours d’ameublement de la cité universitaire Jean-Zay d’Antony et dessine spécialement un modèle de siège en contreplaqué moulé dont la ligne souple prouve que l’économie de moyen et la fonctionnalité du mobilier n’enlèvent rien à une certaine recherche formelle. Cette chaise basse s’apparente à une chauffeuse qui devient une typologie très en vogue à cette époque.
Jean Royère développe son goût de l’ornementation à partir des matériaux courants dans les années 1950 et 1960. Le tube de métal devient une ligne ondulée et participe à son répertoire décoratif. La fonction d’éclairer est sublimée par cette forme inspirée de la nature.
Pionnier du design moderniste américain, George Nelson, architecte et théoricien du design contribue à instaurer dès les années 1940, un environnement nouveau au bureau comme à la maison ; au-delà d’être à l’initiative de l’innovant concept, celui du mur de rangement, il conçoit des formes à forte présence visuelle et graphique, simples mais affirmées. Ball Clock égrène la mesure du temps à l’aide de l’aiguille des heures surmontée d’une flèche et de celle des minutes coiffée d’une ellipse. Les douze rais métalliques terminés par des boules colorées, le disque central qui dissimule le mécanisme attestent d’une nouvelle esthétique moderne, dont il est un des principaux porte-parole.